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consuelo.

elle te fera de la peine. Il est de certaines folies du cerveau qu’il faut savoir pardonner aux autres et à soi-même. Oublie tout cela.

— On n’oublie pas par un seul acte de la volonté, reprit Consuelo ; la réflexion nous aide, et les causes nous éclairent. Si je suis repoussée des Rudolstadt avec dédain, je serai bientôt consolée ; si je suis rendue à la liberté avec estime et affection, je serai consolée autrement avec moins d’effort. Montrez-moi la lettre ; que craignez-vous, puisque d’une manière ou de l’autre je vous obéirai ?

— Eh bien ! je vais te la montrer », dit le malicieux professeur en ouvrant son secrétaire, et en feignant de chercher la lettre.

Il ouvrit tous ses tiroirs, remua toutes ses paperasses, et cette lettre, qui n’avait jamais existé, put bien ne pas s’y trouver. Il feignit de s’impatienter ; Consuelo s’impatienta tout de bon. Elle mit elle-même la main à la recherche ; il la laissa faire. Elle renversa tous les tiroirs, elle bouleversa tous les papiers. La lettre fut introuvable. Le Porpora essaya de se la rappeler, et improvisa une version polie et décisive. Consuelo ne pouvait pas soupçonner son maître d’une dissimulation si soutenue. Il faut croire, pour l’honneur du vieux professeur, qu’il ne s’en tira pas merveilleusement ; mais il en fallait peu pour persuader un esprit aussi candide que celui de Consuelo. Elle finit par croire que la lettre avait servi à allumer la pipe du Porpora dans un moment de distraction ; et, après être rentrée dans sa chambre pour faire sa prière, et jurer sur le cyprès une éternelle amitié au comte Albert quand même, elle revint tranquillement signer un engagement de deux mois avec le théâtre de Berlin, exécutable à la fin de celui où l’on venait d’entrer. C’était le temps plus que nécessaire pour