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consuelo.

ma vie de théâtre. Il a reconnu maintenant que je ne pouvais me conserver digne de lui (du moins dans l’opinion des hommes) en suivant ce chemin-là. Et moi je suis forcée de reconnaître que l’amour n’est pas assez fort pour vaincre tous les obstacles et abjurer tous les préjugés.

— Sois équitable, Consuelo, et ne demande pas plus que tu n’as pu accorder. Tu n’aimais pas assez pour renoncer à ton art sans hésitation et sans déchirement : ne trouve pas mauvais que le comte Albert n’ait pas pu rompre avec le monde sans épouvante et sans consternation.

— Mais, quelle que fût ma secrète douleur (je puis bien l’avouer maintenant), j’étais résolue à lui sacrifier tout ; et lui, au contraire…

— Songe que la passion était en lui, non en toi. Il demandait avec ardeur ; tu consentais avec effort. Il voyait bien que tu allais t’immoler ; il a senti, non-seulement qu’il avait le droit de te débarrasser d’un amour que tu n’avais pas provoqué, et dont ton âme ne reconnaissait pas la nécessité, mais encore qu’il était obligé par sa conscience à le faire. »

Cette raisonnable conclusion convainquit Consuelo de la sagesse et de la générosité d’Albert. Elle craignait, en s’abandonnant à la douleur, de céder aux suggestions de l’orgueil blessé, et, en acceptant l’hypothèse de Joseph, elle se soumit et se calma ; mais, par une bizarrerie bien connue du cœur humain, elle ne se vit pas plus tôt libre de suivre son goût pour le théâtre, sans distraction et sans remords, qu’elle se sentit effrayée de son isolement au milieu de toute cette corruption, et consternée de l’avenir de fatigues et de luttes qui s’ouvrait devant elle. La scène est une arène brûlante ; quand on y est, on s’y exalte, et toutes les émotions de la vie paraissent