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dû le voir et le comprendre aussi bien que moi, en écoutant Zénobie. Il rejettera donc un sacrifice au-dessus de tes forces, et je l’estimerais peu s’il ne le faisait pas.

— Mais relis donc son dernier billet ! Tiens, le voilà, Joseph ! Ne me disait-il pas qu’il m’aimerait au théâtre aussi bien que dans le monde ou dans un couvent ? Ne pouvait-il admettre l’idée de me laisser libre en m’épousant ?

— Dire et faire, penser et être sont deux. Dans le rêve de la passion, tout semble possible ; mais quand la réalité frappe tout à coup nos yeux, nous revenons avec effroi à nos anciennes idées. Jamais je ne croirai qu’un homme de qualité voie sans répugnance son épouse exposée aux caprices et aux outrages d’un parterre. En mettant le pied, pour la première fois de sa vie certainement, dans les coulisses, le comte a eu, dans la conduite de Trenck envers toi, un triste échantillon des malheurs et des dangers de ta vie de théâtre. Il se sera éloigné, désespéré, il est vrai, mais guéri de sa passion et revenu de ses chimères. Pardonne-moi si je te parle ainsi, ma sœur Consuelo. Je le dois ; car c’est un bien pour toi que l’abandon du comte Albert. Tu le sentiras plus tard, quoique tes yeux se remplissent de larmes en ce moment. Sois juste envers ton fiancé, au lieu d’être humiliée de son changement. Quand il te disait que le théâtre ne lui répugnait point, il s’en faisait un idéal qui s’est écroulé au premier examen. Il a reconnu alors qu’il devait faire ton malheur en t’en arrachant, ou consommer le sien en t’y suivant.

— Tu as raison, Joseph. Je sens que tu es dans le vrai ; mais laisse-moi pleurer. Ce n’est point l’humiliation d’être délaissée et dédaignée qui me serre le cœur : c’est le regret à un idéal que je m’étais fait de l’amour et de sa puissance, comme Albert s’était fait un idéal de