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qu’elle en avait fini avec le théâtre, et contemplait sans cesse cette branche de cyprès qui lui semblait avoir été enlevée à quelque tombe dans la grotte du Schreckenstein.

Beppo, seul ami à qui elle pût ouvrir son cœur, avait d’abord voulu la dissuader de l’idée qu’Albert était venu à Vienne. Mais lorsqu’elle lui eut montré la branche de cyprès, il rêva profondément à tout ce mystère, et finit par croire à la part du jeune comte dans l’aventure de Trenck.

« Écoute, lui dit-il, je crois avoir compris ce qui se passe. Albert est venu à Vienne effectivement. Il t’a vue, il t’a écoutée, il a observé toutes tes démarches, il a suivi tous tes pas. Le jour où nous causions sur la scène, le long du décor de l’Araxe, il a pu être de l’autre côté de cette toile et entendre les regrets que j’exprimais de te voir enlevée au théâtre au début de ta gloire. Toi-même tu as laissé échapper je ne sais quelles exclamations qui ont pu lui faire penser que tu préférais l’éclat de ta carrière à la tristesse solennelle de son amour. Le lendemain, il t’a vue entrer dans cette chambre de Corilla, où peut-être, puisqu’il était là toujours en observation, il avait vu entrer le pandoure quelques instants auparavant. Le temps qu’il a mis à te secourir prouverait presque qu’il te croyait là de ton plein gré, et ce sera donc après avoir succombé à la tentation d’écouter à la porte, qu’il aura compris l’imminence de son intervention.

— Fort bien, dit Consuelo ; mais pourquoi agir avec mystère ? pourquoi se cacher la figure d’un crêpe ?

— Tu sais comme la police autrichienne est ombrageuse. Peut-être a-t-il été l’objet de méchants rapports à la cour ; peut-être avait-il des raisons de politique pour se cacher : peut-être son visage n’était-il pas inconnu à Trenck. Qui sait si, durant les dernières guerres, il ne