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passait, que Frédéric-le-Grand donna en personne le dessin des fers que Trenck le Prussien porta neuf ans dans son sépulcre de Magdebourg ; et si Marie-Thérèse n’ordonna pas précisément qu’on enchaînât Trenck l’Autrichien son valeureux pandoure par le pied mutilé, elle fut toujours sourde à ses plaintes, inaccessible à ses révélations. D’ailleurs, dans la honteuse orgie que ses gens firent des richesses du vaincu, elle sut fort bien prélever la part du lion et refuser justice à ses héritiers.

Revenons à Consuelo, car il est de notre devoir de romancier de passer rapidement sur les détails qui tiennent à l’histoire. Cependant nous ne savons pas le moyen d’isoler absolument les aventures de notre héroïne des faits qui se passèrent dans son temps et sous ses yeux. En apprenant l’infortune du pandoure, elle ne songea plus aux outrages dont il l’avait menacée, et, profondément révoltée de l’iniquité de son sort, elle aida Corilla à lui faire passer de l’argent, dans un moment où on lui refusait les moyens d’adoucir la rigueur de sa captivité. La Corilla, plus prompte encore à dépenser l’argent qu’à l’acquérir, se trouvait justement à sec le jour où un émissaire de son amant vint en secret lui réclamer la somme nécessaire. Consuelo fut la seule personne à laquelle cette fille, dominée par l’instinct de la confiance et de l’estime, osât recourir. Consuelo vendit aussitôt le cadeau que l’impératrice lui avait jeté sur la scène à la fin de Zénobie, et en remit le prix à sa camarade, en l’approuvant de ne point abandonner le malheureux Trenck dans sa détresse. Le zèle et le courage que mit la Corilla à servir son amant tant qu’il lui fut possible, jusqu’à s’entendre amiablement à cet égard avec une baronne qui était sa maîtresse en titre, et dont elle était mortellement jalouse, rendirent une sorte d’estime à Consuelo pour cette créature corrompue, mais non perverse, qui avait