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consuelo.

tant de sollicitude, et la préservait avec tant d’énergie.

« Eh bien, pensa Consuelo, puisque Dieu permet que mes forces ne me trahissent pas, je veux qu’il me voie belle dans mon rôle, et que, du coin de la salle d’où sans doute il m’observe en cet instant, il jouisse d’un triomphe que je ne dois ni à la cabale ni au charlatanisme. »

Tout en se conservant à l’esprit de son rôle, elle le chercha des yeux, mais elle ne le put découvrir ; et lorsqu’elle rentrait dans les coulisses, elle l’y cherchait encore, avec aussi peu de succès. Où pouvait-il être ? où se cachait-il ? avait-il tué le pandoure sur le coup, en le jetant au bas de l’escalier ? Était-il forcé de se dérober aux poursuites ? allait-il venir lui demander asile auprès du Porpora ? le retrouverait-elle, cette fois, en rentrant à l’ambassade ? Ces perplexités disparaissaient dès qu’elle rentrait en scène : elle oubliait alors, comme par un effet magique, tous les détails de sa vie réelle, pour ne plus sentir qu’une vague attente, mêlée d’enthousiasme, de frayeur, de gratitude et d’espoir. Et tout cela était dans son rôle, et se manifestait en accents admirables de tendresse et de vérité.

Elle fut rappelée après la fin ; et l’impératrice lui jeta, la première, de sa loge, un bouquet où était attaché un présent assez estimable. La cour et la ville suivirent l’exemple de la souveraine en lui envoyant une pluie de fleurs. Au milieu de ces palmes embaumées, Consuelo vit tomber à ses pieds une branche verte, sur laquelle ses yeux s’attachèrent involontairement. Dès que le rideau fut hissé pour la dernière fois, elle la ramassa. C’était une branche de cyprès. Alors toutes les couronnes du triomphe disparurent de sa pensée, pour ne lui laisser à contempler et à commenter que cet emblème funèbre, un signe de douleur et d’épouvante, l’expression, peut-être, d’un dernier adieu. Un froid mortel succéda à la