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consuelo.

Jupiter rayonnant de Trenck à la gueule brûlée. Tu ne me réponds pas, une touchante pudeur te fait hésiter encore ? Eh bien ! ne dis rien, laisse-moi baiser ta main, et je m’éloigne plein de confiance et de bonheur. Vois si je suis un brutal et un tigre tel qu’on m’a dépeint ! Je ne te demande qu’une innocente faveur, et je l’implore à genoux, moi qui, de mon souffle, pouvais te terrasser et connaître encore, malgré ta haine, un bonheur dont les dieux eussent été jaloux ! »

Consuelo examinait avec surprise cet homme affreux qui séduisait tant de femmes. Elle étudiait cette fascination qui, en effet, eût été irrésistible en dépit de la laideur, si c’eût été la figure d’un homme de bien, animé de la passion d’un homme de cœur ; mais ce n’était que la laideur d’un voluptueux effréné, et sa passion n’était que le don quichottisme d’une présomption impertinente.

« Avez-vous tout dit, monsieur le baron ? » lui demanda-t-elle avec tranquillité.

Mais tout à coup elle rougit et pâlit en regardant une poignée de gros brillants, de perles énormes et de rubis d’un grand prix que le despote slave venait de jeter sur ses genoux. Elle se leva brusquement et fit rouler par terre toutes ces pierreries que la Corilla devait ramasser.

« Trenck, lui dit-elle avec la force du mépris et de l’indignation, tu es le dernier des lâches avec toute ta bravoure. Tu n’as jamais combattu que des agneaux et des biches, et tu les as égorgés sans pitié. Si un homme véritable s’était retourné contre toi, tu te serais enfui comme un loup féroce et poltron que tu es. Tes glorieuses cicatrices, je sais que tu les as reçues dans une cave, où tu cherchais l’or des vaincus au milieu des cadavres. Tes palais et ton petit royaume, c’est le sang d’un noble peuple auquel le despotisme impose un compatriote tel que toi, qui les a payés ; c’est le denier