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consuelo.

Consuelo essaya sa voix en pleine campagne, par une brillante roulade, et s’écria :

« Il reste beaucoup de son ! »

Puis elle tendit joyeusement la main à son confrère, et la serra avec effusion, en lui disant :

« Tu es un brave garçon, Beppo !

— Et toi aussi ! » répondit Joseph en essuyant une larme et en faisant un grand éclat de rire.

LXXV.

Il n’est pas fort inquiétant de se trouver sans argent quand on touche au terme d’un voyage ; mais eussent-ils été encore bien loin de leur but, nos jeunes artistes ne se seraient pas sentis moins gais qu’ils ne le furent lorsqu’ils se virent tout à fait à sec. Il faut s’être trouvé ainsi sans ressources en pays inconnu (Joseph était presque aussi étranger que Consuelo à cette distance de Vienne) pour savoir quelle sécurité merveilleuse, quel génie inventif et entreprenant se révèlent comme par magie à l’artiste qui vient de dépenser son dernier sou. Jusque-là, c’est une sorte d’agonie, une crainte continuelle de manquer, une noire appréhension de souffrances, d’embarras et d’humiliations qui s’évanouissent dès que la dernière pièce de monnaie a sonné. Alors, pour les âmes poétiques, il y a un monde nouveau qui commence, une sainte confiance en la charité d’autrui, beaucoup d’illusions charmantes ; mais aussi une aptitude au travail et une disposition à l’aménité qui font aisément triompher des premiers obstacles. Consuelo, qui portait dans ce retour à l’indigence de ses premiers ans un sentiment de plaisir romanesque, et qui se sentait heureuse d’avoir fait le bien en se dépouillant,