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consuelo.

faisant verser quelques larmes. Je t’attendrai avec ma voiture à la sortie du théâtre après la représentation. C’est entendu ? »

Il l’embrassa bon gré mal gré devant Consuelo, et se retira.

Aussitôt la Corilla se jeta au cou de sa compagne pour la remercier d’avoir si bien repoussé les fadeurs du baron. Consuelo détourna la tête ; la belle Corilla, toute souillée du baiser de cet homme, lui causait presque le même dégoût que lui.

« Comment pouvez-vous être jalouse d’un être aussi repoussant ? lui dit-elle.

— Zingarella, tu ne t’y connais pas, répondit Corilla en souriant. Le baron plaît à des femmes plus haut placées et soi-disant plus vertueuses que nous. Sa taille est superbe, et son visage, bien que gâté par des cicatrices, a des agréments auxquels tu ne résisterais pas s’il se mettait en tête de te le faire trouver beau.

— Ah ! Corilla, ce n’est pas son visage qui me répugne le plus. Son âme est plus hideuse encore. Tu ne sais donc pas que son cœur est celui d’un tigre !

— Et voilà ce qui m’a tourné la tête ! répondit lestement la Corilla. Entendre les fadeurs de tous ces efféminés qui vous harcèlent, belle merveille en vérité ! Mais enchaîner un tigre, dominer un lion des forêts, le conduire en laisse ; faire soupirer, pleurer, rugir et trembler celui dont le regard met en fuite des armées entières, et dont un coup de sabre fait voler la tête d’un bœuf comme celle d’un pavot, c’est un plaisir plus âpre que tous ceux que j’ai connus. Anzoleto avait bien un peu de cela ; je l’aimais pour sa méchanceté, mais le baron est pire. L’autre était capable de battre sa maîtresse, celui-ci est capable de la tuer. Oh ! je l’aime davantage !