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consuelo.

triompher de l’amour ; car la chose la plus funeste à notre repos, à notre voix, à la durée de notre beauté, à notre fortune, à nos succès, c’est bien l’amour, n’est-ce pas ? Oh ! oui, je le sais par expérience. Si j’avais pu m’en tenir toujours à la froide galanterie, je n’aurais pas tant souffert, je n’aurais pas perdu deux mille sequins, et deux notes dans le haut. Mais, vois-tu, je m’humilie devant toi ; je suis une pauvre créature, je suis née malheureuse. Toujours, au milieu de mes plus belles affaires, j’ai fait quelque sottise qui a tout gâté, je me suis laissé prendre à quelque folle passion pour quelque pauvre diable, et adieu la fortune ! J’aurais pu épouser Zustiniani dans un temps ; oui, je l’aurais pu : il m’adorait et je ne pouvais pas le souffrir ; j’étais maîtresse de son sort. Ce misérable Anzoleto m’a plu… j’ai perdu ma position. Allons, tu me donneras des conseils, tu seras mon amie, n’est-ce pas ? Tu me préserveras des faiblesses de cœur et des coups de tête. Et, pour commencer… il faut que je t’avoue que j’ai une inclination depuis huit jours pour un homme dont la faveur baisse singulièrement, et qui, avant peu, pourra être plus dangereux qu’utile à la cour ; un homme qui est riche à millions, mais qui pourrait bien se trouver ruiné dans un tour de main. Oui, je veux m’en détacher avant qu’il m’entraîne dans son précipice… Allons ! le diable veut me démentir, car le voici qui vient ; je l’entends, et je sens le feu de la jalousie me monter au visage. Ferme bien ton paravent, Porporina, et ne bouge pas : je ne veux pas qu’il te voie. »

Consuelo se hâta de tirer avec soin le paravent. Elle n’avait pas besoin de l’avis pour désirer de n’être pas examinée par les amants de la Corilla. Une voix d’homme assez vibrante et juste, quoique privée de fraîcheur, fredonnait dans les corridors. On frappa pour la forme, et on entra sans attendre la réponse.