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consuelo.

l’interrompre, elle se mit, tout en se coiffant, à faire des gammes et des traits.

« Tais-toi, lui dit tout à coup Corilla, qui l’écoutait malgré elle ; tu m’enfonces mille poignards dans le gosier… Ah ! je te céderais de bon cœur tous mes amants, je serais bien sûre d’en trouver d’autres ; mais ta voix et ta méthode, jamais je ne pourrai te les disputer. Tais-toi, car j’ai envie de t’étrangler. »

Consuelo, qui vit bien que la Corilla ne plaisantait qu’à demi, et que ces flatteries railleuses cachaient une souffrance réelle, se le tint pour dit ; mais au bout d’un instant, celle-ci reprit :

« Comment fais-tu ce trait-là ?

— Veux-tu le faire ? je te le cède, répondit Consuelo en riant, avec sa bonhomie admirable. Tiens, je vais te l’apprendre. Mets-le dès ce soir dans quelque endroit de ton rôle. Moi, j’en trouverai un autre.

— C’en sera un autre encore plus fort. Je n’y gagnerai rien.

— Eh bien, je ne le ferai pas du tout. Aussi bien le Porpora ne se soucie pas de ces choses-là, et ce sera un reproche de moins qu’il me fera ce soir. Tiens, voilà mon trait. »

Et tirant de sa poche une ligne de musique écrite sur un petit bout de papier plié, elle le passa par-dessus le paravent à Corilla, qui se mit à l’étudier aussitôt. Consuelo l’aida, le lui chanta plusieurs fois et finit par le lui apprendre. Les toilettes allaient toujours leur train.

Mais avant que Consuelo eût passé sa robe, la Corilla écarta impétueusement le paravent et vint l’embrasser pour la remercier du sacrifice de son trait. Ce n’était pas un mouvement de reconnaissance bien sincère qui la poussait à cette démonstration. Il s’y mêlait un perfide désir de voir la taille de sa rivale en corset, afin de