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consuelo.

sont aux ordres de toute autre que la victime dévouée à ce petit supplice. La cloche sonne, l’avertisseur (le buttafuori) crie de sa voix glapissante dans les corridors : Signore e signori, si va cominciar ! mots terribles que la débutante n’entend pas sans un froid mortel ; elle n’est pas prête ; elle se hâte, elle brise ses lacets, elle déchire ses manches ; elle met son manteau de travers, et son diadème va tomber au premier pas qu’elle fera sur la scène. Palpitante, indignée, nerveuse, les yeux pleins de larmes, il faut paraître avec un sourire céleste sur le visage ; il faut déployer une voix pure, fraîche et sûre d’elle-même, lorsque la gorge est serrée et le cœur prêt à se briser… Oh ! toutes ces couronnes de fleurs qui pleuvent sur la scène au moment du triomphe ont, en dessous, des milliers d’épines.

Heureusement pour Consuelo, elle rencontra la Corilla, qui lui dit en lui prenant la main :

« Viens dans ma loge ; la Tesi s’est flattée de te jouer le même tour qu’elle me jouait dans les commencements. Mais je viendrai à ton secours, ne fût-ce que pour la faire enrager ! c’est à charge de revanche, au moins ! Au train dont tu y vas, Porporina, je risque bien de te voir passer avant moi, partout où j’aurai le malheur de te rencontrer. Tu oublieras sans doute alors la manière dont je me conduis ici avec toi : tu ne te rappelleras que le mal que je t’ai fait.

— Le mal que vous m’avez fait, Corilla ? dit Consuelo en entrant dans la loge de sa rivale et en commençant sa toilette derrière un paravent, tandis que les habilleuses allemandes partageaient leurs soins entre les deux cantatrices, qui pouvaient s’entretenir en vénitien sans être entendues. Vraiment je ne sais quel mal vous m’avez fait ; je ne m’en souviens plus.

— La preuve que tu me gardes rancune, c’est que tu