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effroyable, ce Trenck à la gueule brûlée, comme l’appellent nos soldats ; ce partisan fameux, le plus rusé, le plus intrépide, le plus nécessaire des tristes et belliqueuses années qui viennent de s’écouler : le plus grand hâbleur et le plus grand pillard de son siècle, à coup sûr ; mais aussi l’homme le plus brave, le plus robuste, le plus actif, le plus fabuleusement téméraire des temps modernes. C’est lui ; c’est Trenck le pandoure, avec ses loups affamés, meute sanguinaire dont il est le sauvage pasteur. »

François de Trenck était plus grand encore que son cousin de Prusse. Il avait près de six pieds. Son manteau écarlate, attaché à son cou par une agrafe de rubis, s’entrouvrait sur sa poitrine pour laisser voir tout un musée d’artillerie turque, chamarrée de pierreries, dont sa ceinture était l’arsenal. Pistolets, sabres recourbés et coutelas, rien ne manquait pour lui donner l’apparence du plus expéditif et du plus déterminé tueur d’hommes. En guise d’aigrette, il portait à son bonnet le simulacre d’une petite faux à quatre lames tranchantes, retombant sur son front. Son aspect était horrible. L’explosion d’un baril de poudre[1] en le défigurant, avait achevé de lui donner l’air diabolique. « On ne pouvait le regarder sans frémir », disent tous les mémoires du temps.

« C’est donc là ce monstre, cet ennemi de l’humanité ! dit Consuelo en détournant les yeux avec horreur. La Bohême se rappellera longtemps son passage ; les villes

  1. Étant descendu dans une cave au pillage d’une ville de la Bohême et dans l’espérance de découvrir le premier des tonnes d’or dont on lui avait signalé l’existence, il avait approché précipitamment une lumière d’un de ces tonneaux précieux ; mais c’était de la poudre qu’il contenait. L’explosion avait fait crouler sur lui une partie de la voûte, et on l’avait retiré des décombres, mourant, le corps sillonné d’énormes brûlures, le visage couvert de plaies profondes et indélébiles.