Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 3.djvu/278

Cette page a été validée par deux contributeurs.
268
consuelo.

s’arrêter. Mais ce quelqu’un passait outre, l’un en chantant, l’autre en faisant entendre une toux de vieillard, et ils se perdaient dans les ténèbres. Consuelo, convaincue qu’elle avait fait un rêve, alla se coucher, et le lendemain matin, cette impression se trouvant dissipée, elle avoua à Joseph qu’elle n’avait réellement distingué aucun des traits du personnage en question. L’ensemble de sa taille, la coupe et la pose de son manteau, un teint pâle, quelque chose de noir au bas du visage, qui pouvait être une barbe ou l’ombrage du chapeau fortement dessinée par la lumière bizarre du théâtre, ces vagues ressemblances, rapidement saisies par son imagination, lui avaient suffi pour se persuader qu’elle voyait Albert.

« Si un homme tel que tu me l’as si souvent dépeint s’était trouvé sur le théâtre, lui dit Joseph, il y avait là assez de monde circulant de tous côtés pour que sa mise négligée, sa longue barbe et ses cheveux noirs eussent attiré les remarques. Or, j’ai interrogé de tous côtés, et, jusqu’aux portiers du théâtre, qui ne laissent pénétrer personne dans l’intérieur sans le reconnaître ou voir son autorisation, et qui que ce soit n’avait vu un homme étranger au théâtre ce jour-là.

— Allons, il est certain que je l’ai rêvé. J’étais émue, hors de moi. J’ai pensé à Albert, son image a passé dans mon esprit. Quelqu’un s’est trouvé là devant mes yeux, et j’en ai fait Albert. Ma tête est donc devenue bien faible ? Il est certain que j’ai crié du fond du cœur, et qu’il s’est passé en moi quelque chose de bien extraordinaire et de bien absurde.

— N’y pense plus, dit Joseph ; ne te fatigue pas avec des chimères. Repasse ton rôle, et songe à ce soir. »