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consuelo.

Dieu envers nous ? Nous donnerait-il, dès le berceau, ces instincts, ces besoins d’un certain art, que nous ne pouvons jamais étouffer, s’il proscrivait l’usage que nous sommes appelés à en faire ? Pourquoi, dès mon enfance, n’aimais-je pas les jeux de mes petits camarades ? Pourquoi, dès que j’ai été livré à moi-même, ai-je travaillé à la musique avec un acharnement dont rien ne pouvait me distraire, et une assiduité qui eût tué tout autre enfant de mon âge ? Le repos me fatiguait, le travail me donnait la vie. Il en était ainsi de toi, Consuelo. Tu me l’as dit cent fois, et quand l’un de nous racontait sa vie à l’autre, celui-ci croyait entendre la sienne propre. Va, la main de Dieu est dans tout, et toute puissance, toute inclination est son ouvrage, quand même nous n’en comprenons pas le but. Tu es née artiste, donc il faut que tu le sois, et quiconque t’empêchera de l’être te donnera la mort ou une vie pire que la tombe.

— Ah ! Beppo, s’écria Consuelo consternée et presque égarée, si tu étais véritablement mon ami, je sais bien ce que tu ferais.

— Eh ! quoi donc, chère Consuelo ? Ma vie ne t’appartient-elle pas ?

— Tu me tuerais demain au moment où l’on baissera la toile, après que j’aurai été vraiment artiste, vraiment inspirée, pour la première et la dernière fois de ma vie.

— Ah ! dit Joseph avec une gaieté triste, j’aimerais mieux tuer ton comte Albert ou moi-même. »

En ce moment, Consuelo leva les yeux vers la coulisse qui s’ouvrit vis-à-vis d’elle, et la mesura des yeux avec une préoccupation mélancolique. L’intérieur d’un grand théâtre, vu au jour, est quelque chose de si différent de ce qu’il nous apparaît de la salle, aux lumières, qu’il est impossible de s’en faire une idée quand on ne l’a pas contemplé ainsi. Rien de plus triste, de plus