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consuelo.

car cette émotion tient à la fois du délire et de l’agonie.

— Pauvre amie ! je crains qu’il n’en soit toujours ainsi désormais, ou plutôt je l’espère ; car tu ne seras vraiment puissante que dans le feu de cette émotion. J’ai ouï dire à tous les musiciens, à tous les acteurs que j’ai abordés, que, sans ce délire ou sans ce trouble, ils ne pouvaient rien ; et qu’au lieu de se calmer avec l’âge et l’habitude, ils devenaient toujours plus impressionnables à chaque étreinte de leur démon.

— Ceci est un grand mystère, dit Consuelo en soupirant. Il ne me semble pas que la vanité, la jalousie des autres, le lâche besoin du triomphe, aient pu s’emparer de moi si soudainement et bouleverser mon être du jour au lendemain. Non ! je t’assure qu’en chantant cette prière de Zénobie et ce duo avec Tiridate, où la passion et la vigueur de Caffariello m’emportaient comme un tourbillon d’orage, je ne songeais ni au public, ni à mes rivales, ni à moi-même. J’étais Zénobie ; je pensais aux dieux immortels de l’Olympe avec une ardeur toute chrétienne, et je brûlais d’amour pour ce bon Caffariello, qu’après la ritournelle je ne puis pas regarder sans rire. Tout cela est étrange, et je commence à croire que, l’art dramatique étant un mensonge perpétuel, Dieu nous punit en nous frappant de la folie d’y croire nous-mêmes et de prendre au sérieux ce que nous faisons pour produire l’illusion chez les autres. Non ! il n’est pas permis à l’homme d’abuser de toutes les passions et de toutes les émotions de la vie réelle pour s’en faire un jeu. Il veut que nous gardions notre âme saine et puissante pour des affections vraies, pour des actions utiles, et quand nous faussons ses vues, il nous châtie et nous rend insensés.

— Dieu ! Dieu ! la volonté de Dieu ! voilà où gît le mystère, Consuelo ! Qui peut pénétrer les desseins de