Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 3.djvu/268

Cette page a été validée par deux contributeurs.
258
consuelo.

— Comme si c’était la première fois ! Mais tu deviens artiste comme le Porpora veut que tu le sois, ma bonne Consuelo ! La fièvre du succès s’est allumée en toi. Quand tu chantais dans les sentiers du Boehmer-Wald, tu me voyais bien pleurer et tu pleurais toi-même, attendrie par la beauté de ton chant ; maintenant c’est autre chose : tu ris de bonheur, et tu tressailles d’orgueil en voyant les larmes que tu fais couler. Allons, courage, ma Consuelo, te voilà prima donna dans toute la force du terme !

— Ne me dis pas cela, ami. Je ne serai jamais comme celle de là-bas. »

Et elle désignait du geste la Corilla, qui chantait de l’autre côté de la toile de fond, sur la scène.

« Ne le prends pas en mauvaise part, repartit Joseph ; je veux dire que le dieu de l’inspiration t’a vaincue. En vain ta raison froide, ton austère philosophie et le souvenir de Riesenburg ont lutté contre l’esprit de Python. Le voilà qui te remplit et te déborde. Avoue que tu étouffes de plaisir : je sens ton bras trembler contre le mien ; ta figure est animée, et jamais je ne t’ai vu le regard que tu as dans ce moment-ci. Non, tu n’étais pas plus agitée, pas plus inspirée quand le comte Albert te lisait les tragiques grecs !

— Ah ! quel mal tu me fais ! s’écria Consuelo en pâlissant tout à coup et en retirant son bras de celui de Joseph. Pourquoi prononces-tu ce nom-là ici ? C’est un nom sacré qui ne devrait pas retentir dans ce temple de la folie. C’est un nom terrible qui, comme un coup de tonnerre, fait rentrer dans la nuit toutes les illusions et tous les fantômes des songes dorés !

— Eh bien, Consuelo, veux-tu que je te le dise ? reprit Haydn après un moment de silence : jamais tu ne pourras te décider à épouser cet homme-là.