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avait ordinairement dans cette bluette la consolait un peu du sacrifice de son grand rôle de Zénobie. Pendant qu’on répétait la dernière partie de l’intermède, en attendant qu’on répétât le troisième acte, Consuelo, un peu oppressée par l’émotion de son rôle, alla derrière la toile de fond, entre l’horrible vallée hérissée de montagnes et de précipices, qui formait le premier décor, et ce bon fleuve Araxe, bordé d’aménissimes montagnes, qui devait apparaître à la troisième scène pour reposer agréablement les yeux du spectateur sensible. Elle marchait un peu vite, allant et revenant sur ses pas, lorsque Joseph lui apporta son éventail qu’elle avait laissé sur la niche du souffleur, et dont elle se servit avec beaucoup de plaisir. L’instinct du cœur et la volontaire préoccupation du Porpora poussaient machinalement Joseph à rejoindre son amie ; l’habitude de la confiance et le besoin d’épanchement portaient Consuelo à l’accueillir toujours joyeusement. De ce double mouvement d’une sympathie dont les anges n’eussent pas rougi dans le ciel, la destinée avait résolu de faire le signal et la cause d’étranges infortunes… Nous savons très-bien que nos lectrices de romans, toujours pressées d’arriver à l’événement, ne nous demandent que plaie et bosse ; nous les supplions d’avoir un peu de patience.

« Eh bien, mon amie, dit Joseph en souriant à Consuelo et en lui tendant la main, il me semble que tu n’es plus si mécontente du drame, de notre illustre abbé, et que tu as trouvé dans ton air de la prière une fenêtre ouverte par laquelle le démon du génie qui te possède va prendre une bonne fois sa volée.

— Tu trouves donc que je l’ai bien chanté ?

— Est-ce que tu ne vois pas que j’ai les yeux rouges ?

— Ah ! oui, tu as pleuré. C’est bon, tant mieux ! je suis bien contente de t’avoir fait pleurer.