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consuelo.

bâillonner mon mari, tandis que ces monstres me disaient : « Oui, oui, pleure ! Tu ne le reverras plus, nous le menons pendre », fut si violente, que je tombai comme morte sur le chemin. J’y restai je ne sais combien d’heures, étendue dans la poussière. Quand j’ouvris les yeux, il faisait nuit ; ma pauvre enfant, couchée sur moi, se tordait en sanglotant d’une façon à fendre le cœur, il n’y avait plus sur le chemin que le sang de mon mari, et la trace des roues de la voiture qui l’avait emporté. Je restai encore là une heure ou deux, essayant de consoler et de réchauffer Maria, qui était transie et moitié morte de peur. Enfin, quand les idées me revinrent, je songeai que ce que j’avais de mieux à faire ce n’était pas de courir après les ravisseurs, que je ne pourrais atteindre, mais d’aller faire ma déclaration aux officiers de Wiesenbach, qui était la ville la plus prochaine. C’est ce que je fis, et ensuite je résolus de continuer mon voyage jusqu’à Vienne, et d’aller me jeter aux pieds de l’impératrice, afin qu’elle empêchât du moins que le roi de Prusse ne fît exécuter la sentence de mort contre mon mari. Sa majesté pouvait le réclamer comme son sujet, dans le cas où l’on ne pourrait atteindre les recruteurs. J’ai donc usé de quelques aumônes qu’on m’avait faites sur les terres de l’évêque de Passaw, où j’avais raconté mon désastre, pour gagner le Danube dans une charrette, et de là j’ai descendu en bateau jusqu’à la ville de Mœlk. Mais à présent mes ressources sont épuisées. Les personnes auxquelles je dis mon aventure ne veulent guère me croire, et, dans le doute si je ne suis pas une intrigante, me donnent si peu, qu’il faut que je continue ma route à pied. Heureuse si j’arrive dans cinq ou six jours sans mourir de lassitude ! car la maladie et le désespoir m’ont épuisée. Maintenant, mes chers enfants, si vous avez le moyen de me faire quelque petite aumône, don-