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consuelo.

ne rencontrant pas même les traces de sa voiture aux abords du prieuré, puisqu’il avait fait un détour avant que d’y entrer, elle pénétra furtivement par les jardins, et sans voir personne, jusque dans la maison où elle savait qu’Angèle était en nourrice ; car elle n’avait pas laissé de prendre quelques informations à ce sujet. Elle avait beaucoup ri de l’embarras et de la chrétienne résignation du chanoine ; mais elle ignorait la part que Consuelo avait eue à l’aventure. Ce fut donc avec une surprise mêlée d’épouvante et de consternation qu’elle vit sa rivale en cet endroit ; et, ne sachant point, n’osant point deviner quel était l’enfant qu’elle berçait ainsi, elle faillit tourner les talons et s’enfuir. Mais Consuelo, qui, par un mouvement instinctif, avait serré l’enfant contre son sein comme la perdrix cache ses poussins sous son aile à l’approche du vautour ; Consuelo, qui était au théâtre, et qui, le lendemain, pourrait présenter sous un autre jour ce secret de la comédie que Corilla avait raconté jusqu’alors à sa manière ; Consuelo enfin, qui la regardait avec un mélange d’effroi et d’indignation, la retint clouée et comme fascinée au milieu de la chambre.

Cependant la Corilla était une comédienne trop consommée pour perdre longtemps l’esprit et la parole. Sa tactique était de prévenir une humiliation par une insulte ; et, pour se mettre en voix, elle commença son rôle par cette apostrophe, dite en dialecte vénitien, d’un ton leste et acerbe :

« Eh ! par Dieu ! ma pauvre Zingarella, cette maison est-elle un dépôt d’enfants trouvés ? Y es-tu venue aussi pour chercher ou pour déposer le tien ? Je vois que nous courons mêmes chances et que nous avons même fortune. Sans doute nos deux enfants ont le même père, car nos aventures datent de Venise et de la même époque ; et j’ai vu avec compassion pour toi que ce n’est pas pour te