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consuelo.

sant mesquines, on espéra qu’elle les refuserait. Porpora les accepta d’emblée, et, comme de coutume, sans la consulter. Un beau matin, Consuelo se trouva engagée pour six représentations ; et, sans pouvoir s’y soustraire, sans comprendre pourquoi après une attente de six semaines elle ne recevait aucune nouvelle des Rudolstadt, elle fut traînée par le Porpora à la répétition de l’Antigono de Métastase, musique de Hasse.

Consuelo avait déjà étudié son rôle avec le Porpora. Sans doute c’était une grande souffrance pour ce dernier d’avoir à lui enseigner la musique de son rival, du plus ingrat de ses élèves, de l’ennemi qu’il haïssait désormais le plus ; mais, outre qu’il fallait en passer par là pour arriver à faire ouvrir la porte à ses propres compositions, le Porpora était un professeur trop consciencieux, une âme d’artiste trop probe pour ne pas mettre tous ses soins, tout son zèle à cette étude. Consuelo le secondait si généreusement, qu’il en était à la fois ravi et désolé. En dépit d’elle-même, la pauvre enfant trouvait Hasse magnifique, et son âme sentait bien plus de développement dans ces chants si tendres et si passionnés du Sassone que dans la grandeur un peu nue et un peu froide parfois de son propre maître. Habituée, en étudiant les autres grands maîtres avec lui, à s’abandonner à son propre enthousiasme, elle était forcée de se contenir, cette fois, en voyant la tristesse de son front et l’abattement de sa rêverie après la leçon. Lorsqu’elle entra en scène pour répéter avec Caffariello et la Corilla, quoiqu’elle sût fort bien sa partie, elle se sentit si émue qu’elle eut peine à ouvrir la scène d’Ismène avec Bérénice, qui commence par ces mots :

 « No ; tullo, o Berenice,
Tu non apri il tuo cor, etc.[1] »

  1. Non, Bérénice, tu n’ouvres pas ici franchement ton cœur.