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consuelo.

hélas ! j’ai eu si peu le temps de m’occuper de toi depuis que je suis née ! je ne t’avais pas habitué à être contrarié. Je te livrais l’empire de ma vie, sans examiner la prudence de tes élans. On t’a brisé, mon pauvre cœur, et à présent que la conscience t’a dompté, tu n’oses plus vivre, tu ne sais plus répondre. Parle donc, éveille-toi et choisis ! Eh bien ! tu restes tranquille ! et tu ne veux rien de tout ce qui est là ! — Non ! — Tu ne veux plus d’Anzoleto ? — Encore non ! — Alors, c’est donc Albert que tu appelles ? — Il me semble que tu dis oui. » Et Consuelo se retirait chaque jour de sa fenêtre, avec un frais sourire sur les lèvres et un feu clair et doux dans les yeux.

Au bout d’un mois, elle répondit à Albert, à tête reposée, bien lentement et presque en se tâtant le pouls à chaque lettre que traçait sa plume :

« Je n’aime rien que vous, et je suis presque sûre que je vous aime. Maintenant laissez-moi rêver à la possibilité de notre union. Rêvez-y vous-même ; trouvons ensemble les moyens de n’affliger ni votre père, ni mon maître, et de ne point devenir égoïstes en devenant heureux. »

Elle joignit à ce billet une courte lettre pour le comte Christian, dans laquelle elle lui disait la vie tranquille qu’elle menait, et lui annonçait le répit que les nouveaux projets du Porpora lui avaient laissé. Elle demandait qu’on cherchât et qu’on trouvât les moyens de désarmer le Porpora, et qu’on lui en fit part dans un mois. Un mois lui resterait encore pour y préparer le maestro, avant le résultat de l’affaire entamée à Berlin.

Consuelo, ayant cacheté ces deux billets, les mit sur sa table, et s’endormit. Un calme délicieux était descendu dans son âme, et jamais, depuis longtemps, elle n’avait goûté un si profond et si agréable sommeil. Elle s’éveilla tard, et se leva à la hâte pour voir Keller, qui avait pro-