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père. Ce n’était plus sa raison et sa conscience qu’elle devait interroger. L’une et l’autre parlaient pour Albert. Elle avait triomphé cette fois sans effort du souvenir d’Anzoleto. Une victoire sur l’amour donne de la force pour toutes les autres. Elle ne craignait donc plus la séduction, elle se sentait désormais à l’abri de toute fascination… Et, avec tout cela, la passion ne parlait pas énergiquement pour Albert dans son âme. Il s’agissait encore et toujours d’interroger ce cœur au fond duquel un calme mystérieux accueillait l’idée d’un amour complet. Assise à sa fenêtre, la naïve enfant regardait souvent passer les jeunes gens de la ville. Étudiants hardis, nobles seigneurs, artistes mélancoliques, fiers cavaliers, tous étaient l’objet d’un examen chastement et sérieusement enfantin de sa part. « Voyons, se disait-elle, mon cœur est-il fantasque et frivole ? Suis-je capable d’aimer soudainement, follement et irrésistiblement à la première vue, comme bon nombre de mes compagnes de la Scuola s’en vantaient ou s’en confessaient devant moi les unes aux autres ? L’amour est-il un magique éclair qui foudroie notre être et qui nous détourne violemment de nos affections jurées, ou de notre paisible ignorance ? Y a-t-il chez ces hommes qui lèvent les yeux quelquefois vers ma fenêtre un regard qui me trouble et me fascine ? Celui-ci, avec sa grande taille et sa démarche orgueilleuse, me semble-t-il plus noble et plus beau qu’Albert ? Cet autre, avec ses beaux cheveux et son costume élégant, efface-t-il en moi l’image de mon fiancé ? Enfin voudrais-je être la dame parée que je vois passer là, dans sa calèche, avec un superbe monsieur qui tient son éventail et lui présente ses gants ? Quelque chose de tout cela me fait-il trembler, rougir, palpiter ou rêver ? Non… non, en vérité ! parle, mon cœur, prononce-toi, je te consulte et je te laisse courir. Je te connais à peine,