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qu’elle se sentît incapable de s’y déterminer, elle pouvait tenir avec honneur et franchise l’engagement qu’elle avait pris d’y songer sans distraction et sans contrainte.

Elle résolut d’attendre, pour annoncer ces nouvelles aux hôtes de Riesenburg, que le comte Christian répondît à sa première lettre ; mais cette réponse n’arrivait pas, et Consuelo commençait à croire que le vieux Rudolstadt avait renoncé à cette mésalliance, et travaillait à y faire renoncer Albert, lorsqu’elle reçut furtivement de la main de Keller une petite lettre ainsi conçue :

« Vous m’aviez promis de m’écrire ; vous l’avez fait indirectement en confiant à mon père les embarras de votre situation présente. Je vois que vous subissez un joug auquel je me ferais un crime de vous soustraire ; je vois que mon bon père est effrayé pour moi des conséquences de votre soumission au Porpora. Quant à moi, Consuelo, je ne suis effrayé de rien jusqu’à présent, parce que vous témoignez à mon père du regret et de l’effroi pour le parti qu’on vous engage à prendre ; ce m’est une preuve suffisante de l’intention où vous êtes de ne pas prononcer légèrement l’arrêt de mon éternel désespoir. Non, vous ne manquerez pas à votre parole, vous tâcherez de m’aimer ! Que m’importe où vous soyez, et ce qui vous occupe, et le rang que la gloire ou le préjugé vous feront parmi les hommes, et le temps, et les obstacles qui vous retiendront loin de moi, si j’espère et si vous me dites d’espérer ? Je souffre beaucoup, sans doute, mais je puis souffrir encore sans défaillir, tant que vous n’aurez pas éteint en moi l’étincelle de l’espérance.

« J’attends, je sais attendre ! Ne craignez pas de m’effrayer en prenant du temps pour me répondre ; ne m’écrivez pas sous l’impression d’une crainte ou d’une pitié auxquelles je ne veux devoir aucun ménagement. Pesez mon destin dans votre cœur et mon âme dans la