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consuelo.

passer, il y a cent ans, pour l’utopie d’un fou aussi bien que pour la révélation d’une nouvelle ère ouverte au génie. Joseph doutait encore de lui-même, et ce n’était pas sans terreur qu’il confessait bien bas à Consuelo l’ambition qui le tourmentait. Consuelo en fut aussi un peu effrayée d’abord. Jusque-là, l’instrumentation n’avait eu qu’un rôle secondaire, ou, lorsqu’elle s’isolait de la voix humaine, elle agissait sans moyens compliqués. Cependant il y avait tant de calme et de douceur persévérante chez son jeune confrère, il montrait dans toute sa conduite, dans toutes ses opinions une modestie si réelle et une recherche si froidement consciencieuse de la vérité, que Consuelo, ne pouvant se décider à le croire présomptueux, se décida à le croire sage et à l’encourager dans ses projets. Ce fut à cette époque que Haydn composa une sérénade à trois instruments, qu’il alla exécuter avec deux de ses amis sous les fenêtres des dilettanti dont il voulait attirer l’attention sur ses œuvres. Il commença par le Porpora, qui, sans savoir le nom de l’auteur ni celui des concertants, se mit à sa fenêtre, écouta avec plaisir et battit des mains sans réserve. Cette fois l’ambassadeur, qui écoutait aussi, et qui était dans le secret, se tint sur ses gardes, et ne trahit pas le jeune compositeur. Porpora ne voulait pas qu’en prenant ses leçons de chant on se laissât distraire par d’autres pensées.

À cette époque, le Porpora reçut une lettre de l’excellent contralto Hubert, son élève, celui qu’on appelait le Porporino, et qui était attaché au service de Frédéric le Grand. Cet artiste éminent n’était pas, comme les autres élèves du professeur, infatué de son propre mérite, au point d’oublier tout ce qu’il lui devait. Le Porporino avait reçu de lui un genre de talent qu’il n’avait jamais cherché à modifier, et qui lui avait toujours réussi : c’était de