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consuelo.

prenant un ton moins doux et un air moins encourageant, elle continua :

« Or, je sais, ma chère petite, que vous avez une conduite assez légère, et que, n’étant pas mariée, vous vivez ici dans une étrange intimité avec un jeune homme de votre profession dont je ne me rappelle pas le nom en ce moment.

— Je ne puis répondre à Votre Majesté Impériale qu’une seule chose, dit enfin Consuelo animée par l’injustice de cette brusque accusation ; c’est que je n’ai jamais commis une seule faute dont le souvenir m’empêche de soutenir le regard de Votre Majesté avec un doux orgueil et une joie reconnaissante. »

Marie-Thérèse fut frappée de l’expression fière et forte que la physionomie de Consuelo prit en cet instant. Cinq ou six ans plus tôt, elle l’eût sans doute remarquée avec plaisir et sympathie ; mais déjà Marie-Thérèse était reine jusqu’au fond de l’âme, et l’exercice de sa force lui avait donné cette sorte d’enivrement réfléchi qui fait qu’on veut tout plier et tout briser devant soi. Marie-Thérèse voulait être le seul être fort qui respirât dans ses États, et comme souveraine et comme femme. Elle fut donc choquée du sourire fier et du regard franc de cette enfant qui n’était qu’un vermisseau devant elle, et dont elle croyait pouvoir s’amuser un instant comme d’un esclave qu’on fait causer par curiosité.

« Je vous ai demandé, mademoiselle, le nom de ce jeune homme qui demeure avec vous chez maître Porpora, reprit-elle d’un ton glacial, et vous ne me l’avez point dit.

— Son nom est Joseph Haydn, répondit Consuelo sans s’émouvoir.

— Eh bien, il est entré, par inclination pour vous, au service de maître Porpora en qualité de valet de