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puissance, ils parviennent à triompher de leur rôle et de leur entourage, cet entourage envieux ne leur en sait point gré ; le compositeur devine leur souffrance intérieure, et tremble sans cesse de voir cette inspiration factice se refroidir tout à coup et compromettre son succès ; le public lui-même, étonné et troublé sans savoir pourquoi, devine cette anomalie monstrueuse d’un génie asservi à une idée vulgaire, se débattant dans les liens étroits dont il s’est laissé charger, et c’est presque en soupirant qu’il applaudit à ses vaillants efforts. M. Holzbaüer se rendait fort bien compte, quant à lui, du peu de goût que Consuelo avait pour sa musique. Elle avait eu le malheur de le lui montrer, un jour que, déguisée en garçon et croyant avoir affaire à une de ces figures qu’on aborde en voyage pour la première et la dernière fois de sa vie, elle avait parlé franchement, sans se douter que bientôt sa destinée d’artiste allait être pour quelque temps à la merci de l’inconnu, ami du chanoine. Holzbaüer ne l’avait point oublié, et, piqué jusqu’au fond de l’âme, sous un air calme, discret et courtois, il s’était juré de lui fermer le chemin. Mais comme il ne voulait point que le Porpora et son élève, et ce qu’il appelait leur coterie, pussent l’accuser d’une vengeance mesquine et d’une lâche susceptibilité, il n’avait raconté qu’à sa femme sa rencontre avec Consuelo et l’aventure du déjeuner au presbytère. Cette rencontre paraissait donc n’avoir nullement frappé monsieur le directeur ; il semblait avoir oublié les traits du petit Bertoni, et ne pas se douter le moins du monde que ce chanteur ambulant et la Porporina fussent un seul et même personnage. Consuelo se perdait en commentaires sur la conduite de Holzbaüer à son égard.

« J’étais donc bien parfaitement déguisée en voyage, disait-elle en confidence à Beppo, et l’arrangement de