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consuelo.

augurer des dispositions du maître, mais qui ne s’y fiait pas encore ; c’est quelque chose que j’ai entendu chanter à la signora.

— À la Consuelo ? à ma fille ? Je ne connais pas cela. Ah çà, tu écoutes donc aux portes ?

— Oh non, monsieur ! mais la musique, cela arrive de chambre en chambre jusqu’à la cuisine, et on l’entend, malgré soi.

— Je n’aime pas à être servi par des gens qui ont tant de mémoire, et qui vont chanter nos idées inédites dans la rue. Vous ferez votre paquet aujourd’hui, et vous irez ce soir chercher une autre condition. »

Cet arrêt tomba comme un coup de foudre sur le pauvre Joseph, et il alla pleurer dans la cuisine où bientôt Consuelo vint écouter le récit de sa mésaventure, et le rassurer en lui promettant d’arranger ses affaires.

« Comment, maître, dit-elle au Porpora en lui présentant son café, tu veux chasser ce pauvre garçon, qui est laborieux et fidèle, parce que pour la première fois de sa vie il lui est arrivé de chanter juste !

— Je te dis que ce garçon-là est un intrigant et un menteur effronté ; qu’il a été envoyé chez moi par quelque ennemi qui veut surprendre le secret de mes compositions et se les approprier avant qu’elles aient vu le jour. Je gage que le drôle sait déjà par cœur mon nouvel opéra, et qu’il copie mes manuscrits quand j’ai le dos tourné ! Combien de fois n’ai-je pas été trahi ainsi ! Combien de mes idées n’ai-je pas retrouvées dans ces jolis opéras qui faisaient courir tout Venise, tandis qu’on bâillait aux miens et qu’on disait : Ce vieux radoteur de Porpora nous donne pour du neuf des motifs qui traînent dans les carrefours ! Tiens ! le sot s’est trahi ; il a chanté ce matin une phrase qui n’est certainement pas