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consuelo.

« Ce que je chante, dit-il tout décontenancé ; hélas ! maître, je l’ignore.

— Chante-t-on ce qu’on ignore ? Tu mens !

— Je vous assure, maître, que je ne sais ce que je chantais. Vous m’avez tant effrayé que je l’ai déjà oublié. Je sais bien que j’ai fait une grande faute de chanter auprès de votre chambre. Je suis distrait, je me croyais bien loin d’ici, tout seul ; je me disais : À présent tu peux chanter ; personne n’est là pour te dire : Tais-toi, ignorant, tu chantes faux. Tais-toi, brute, tu n’as pas pu apprendre la musique.

— Qui t’a dit que tu chantais faux ?

— Tout le monde.

— Et moi, je te dis, s’écria le maestro d’un ton sévère, que tu ne chantes pas faux. Et qui a essayé de t’enseigner la musique ?

— Mais… par exemple, maître Reuter, dont mon ami Keller fait la barbe, et qui m’a chassé de la leçon, disant que je ne serais jamais qu’un âne. »

Joseph connaissait déjà assez les antipathies du maestro pour savoir qu’il faisait peu de cas du Reuter, et même il avait compté sur ce dernier pour lui gagner les bonnes grâces du Porpora, la première fois qu’il essaierait de le desservir auprès de lui. Mais le Reuter, dans les rares visites qu’il avait rendues au maestro, n’avait pas daigné reconnaître son ancien élève dans l’antichambre.

« Maître Reuter est un âne lui-même, murmura le Porpora entre ses dents ; mais il ne s’agit pas de cela, reprit-il tout haut ; je veux que tu me dises où tu as pêché cette phrase. »

Et il chanta celle que Joseph lui avait fait entendre dix fois de suite par mégarde.

« Ah ! cela ? dit Haydn qui commençait à mieux