Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 3.djvu/200

Cette page a été validée par deux contributeurs.
190
consuelo.

— Vous commentez et vous jugez tout cela avec un cynisme cruel, mon cher maître, reprit Consuelo attristée.

— Je parle comme tout le monde ; je n’invente rien ; c’est la voix publique qui affirme tout cela. Va, tous les comédiens ne sont pas au théâtre ; c’est un vieux proverbe.

— La voix publique n’est pas toujours la plus éclairée, et, en tous cas, ce n’est jamais la plus charitable. Tiens, maître, je ne puis pas croire qu’un homme de ce renom et de ce talent ne soit rien de plus qu’un comédien en scène. Je l’ai vu pleurer des larmes véritables, et quand même il aurait à se reprocher d’avoir trop vite oublié sa première Marianna, ses remords ne feraient qu’ajouter à la sincérité de ses regrets d’aujourd’hui. En tout ceci, j’aime mieux le croire faible que lâche. On l’avait fait abbé, on le comblait de bienfaits ; la cour était dévote ; ses amours avec une comédienne y eussent fait grand scandale. Il n’a pas voulu précisément trahir et tromper la Bulgarini : il a eu peur, il a hésité, il a gagné du temps… elle est morte…

— Et il en a remercié la Providence, ajouta l’impitoyable maestro. Et maintenant notre impératrice lui envoie des boîtes et des bagues avec son chiffre en brillants ; des plumes de lapis avec des lauriers en brillants ; des pots en or massif remplis de tabac d’Espagne, des cachets faits d’un seul gros brillant, et tout cela brille si fort, que les yeux du poëte sont toujours baignés de larmes.

— Et tout cela peut-il le consoler d’avoir brisé le cœur de la Romanina ?

— Il se peut bien que non. Mais le désir de ces choses l’a décidé à le faire.

— Triste vanité ! Pour moi, j’ai eu bien de la peine à m’empêcher de rire quand il nous a montré son chande-