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consuelo.

cru l’entendre elle-même. Ah ! vous m’avez brisé le cœur ! »

Et il recommença à sangloter.

« Sa Seigneurie parle d’une personne bien illustre, et que tu dois te proposer constamment pour modèle, dit le Porpora à son élève, la célèbre et incomparable Marianna Bulgarini.

— La Romanina ? s’écria Consuelo ; ah ! je l’ai entendue dans mon enfance à Venise ; c’est mon premier grand souvenir, et je ne l’oublierai jamais.

— Je vois bien que vous l’avez entendue, et qu’elle vous a laissé une impression ineffaçable, reprit le Métastase. Ah ! jeune fille, imitez-la en tout, dans son jeu comme dans son chant, dans sa bonté comme dans sa grandeur, dans sa puissance comme dans son dévouement ! Ah ! qu’elle était belle lorsqu’elle représentait la divine Vénus, dans le premier opéra que je fis à Rome ! C’est à elle que je dus mon premier triomphe.

— Et c’est à Votre Seigneurie qu’elle a dû ses plus beaux succès, dit le Porpora.

— Il est vrai que nous avons contribué à la fortune l’un de l’autre. Mais rien n’a pu m’acquitter assez envers elle. Jamais tant d’affection, jamais tant d’héroïque persévérance et de soins délicats n’ont habité l’âme d’une mortelle. Ange de ma vie, je te pleurerai éternellement, et je n’aspire qu’à te rejoindre ! »

Ici l’abbé pleura encore. Consuelo était fort émue, Porpora affecta de l’être ; mais, en dépit de lui-même, sa physionomie restait ironique et dédaigneuse. Consuelo le remarqua et se promit de lui reprocher cette méfiance ou cette dureté. Quant à Métastase, il ne vit que l’effet qu’il souhaitait produire, l’attendrissement et l’admiration de la bonne Consuelo. Il était de la véritable espèce des poëtes : c’est-à-dire qu’il pleurait plus volontiers