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consuelo.

pas la balourdise de lui dire en le quittant : « J’espère que votre précieuse santé sera bientôt meilleure » ; car il veut qu’on le croie mourant, et, s’il pouvait persuader aux autres qu’il est mort, il en serait fort content, à condition toutefois qu’il ne le crût pas lui-même.

— Voilà une sotte manie pour un grand homme, répondit Consuelo. Que faudra-t-il donc lui dire, s’il ne faut lui parler ni de guérison, ni de mort ?

— Il faut lui parler de sa maladie, lui faire mille questions, écouter tout le détail de ses souffrances et de ses incommodités, et, pour conclure, lui dire qu’il ne se soigne pas assez, qu’il s’oublie lui-même, qu’il ne se ménage point, qu’il travaille trop. De cette façon, nous le disposerons en notre faveur.

— N’allons-nous pas lui demander pourtant de faire un poëme et de vous le faire mettre en musique, afin que je puisse le chanter ? Comment pouvons-nous à la fois lui conseiller de ne point écrire et le conjurer d’écrire pour nous au plus vite ?

— Tout cela s’arrange dans la conversation ; il ne s’agit que de placer les choses à propos. »

Le maestro voulait que son élève sût se rendre agréable au poëte ; mais, sa causticité naturelle ne lui permettant point de dissimuler les ridicules d’autrui, il commettait lui-même la maladresse de disposer Consuelo à l’examen clairvoyant, et à cette sorte de mépris intérieur qui nous rend peu aimables et peu sympathiques à ceux dont le besoin est d’être flattés et admirés sans réserve. Incapable d’adulation et de tromperie, elle souffrit d’entendre le Porpora caresser les misères du poëte, et le railler cruellement sous les dehors d’une pieuse commisération pour des maux imaginaires. Elle en rougit plusieurs fois, et ne put que garder un silence pénible, en dépit des signes que lui faisait son maître pour qu’elle le secondât.