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tégés, il interrogea Consuelo avec une douceur et un retour d’affection sympathique qu’il oublia peu à peu de combattre en lui-même. Elle lui raconta rapidement, et sans lui nommer personne, les principales circonstances de sa vie ; ses fiançailles au lit de mort de sa mère avec Anzoleto, l’infidélité de celui-ci, la haine de Corilla, les outrageants desseins de Zustiniani, les conseils du Porpora, le départ de Venise, l’attachement qu’Albert avait pris pour elle, les offres de la famille de Rudolstadt, ses propres hésitations et ses scrupules, sa fuite du château des Géants, sa rencontre avec Joseph Haydn, son voyage, son effroi et sa compassion au lit de douleur de la Corilla, sa reconnaissance pour la protection accordée par le chanoine à l’enfant d’Anzoleto ; enfin son retour à Vienne, et jusqu’à l’entrevue qu’elle avait eue la veille avec Marie-Thérèse. Joseph n’avait pas su jusque-là toute l’histoire de Consuelo ; elle ne lui avait jamais parlé d’Anzoleto, et le peu de mots qu’elle venait de dire de son affection passée pour ce misérable ne le frappa pas très-vivement ; mais sa générosité à l’égard de Corilla, et sa sollicitude pour l’enfant, lui firent une si profonde impression, qu’il se détourna pour cacher ses larmes. Le chanoine ne retint pas les siennes. Le récit de Consuelo, concis, énergique et sincère, lui fit le même effet qu’un beau roman qu’il aurait lu, et justement il n’avait jamais lu un seul roman, et celui-là fut le premier de sa vie qui l’initia aux émotions vives de la vie des autres. Il s’était assis sur un banc pour mieux écouter, et quand la jeune fille eut tout dit, il s’écria :

« Si tout cela est la vérité, comme je le crois, comme il me semble que je le sens dans mon cœur, par la volonté du ciel, vous êtes une sainte fille… Vous êtes sainte Cécile revenue sur la terre ! Je vous avouerai franchement que je n’ai jamais eu de préjugé contre le théâtre,