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consuelo.

effrayé ; et vous, Bertoni… je veux dire mademoiselle, vous l’avez cru aussi !

— Non, monsieur le chanoine, répondit Consuelo ; je ne l’ai pas cru un instant. J’ai parfaitement vu que votre révérence ne se doutait nullement de la vérité.

— Et vous me rendez justice, dit le chanoine d’un ton un peu sévère, mais profondément triste ; je ne sais point transiger avec la bonne foi, et si j’avais deviné votre sexe, je n’aurais jamais songé à insister comme je l’ai fait, pour vous engager à rester chez moi. Il a bien couru dans le village voisin, et même parmi mes gens, un bruit vague, un soupçon qui me faisait sourire, tant j’étais obstiné à me méprendre sur votre compte. On a dit qu’un des deux petits musiciens qui avaient chanté la messe le jour de la fête patronale, était une femme déguisée. Et puis, on a prétendu que ce propos était une méchanceté du cordonnier Gottlieb, pour effrayer et affliger le curé. Enfin, moi-même, j’ai démenti ce bruit avec assurance. Vous voyez que j’étais votre dupe bien complètement, et qu’on ne saurait l’être davantage.

— Il y a eu une grande méprise, répondit Consuelo avec l’assurance de la dignité ; mais il n’y a point eu de dupe, monsieur le chanoine. Je ne crois pas m’être éloignée un seul instant du respect qui vous est dû, et des convenances que la loyauté impose. J’étais la nuit sans gîte sur le chemin, écrasée de soif et de fatigue, après une longue route à pied. Vous n’eussiez pas refusé l’hospitalité à une mendiante. Vous me l’avez accordée au nom de la musique, et j’ai payé mon écot en musique. Si je ne suis pas partie malgré vous dès le lendemain, c’est grâce à des circonstances imprévues qui me dictaient un devoir au-dessus de tous les autres. Mon ennemie, ma rivale, ma persécutrice tombait des nues à votre porte, et, privée de soins et de secours, avait droit