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pour qu’elle eût envie de dormir elle-même. Ne pouvant s’occuper dans sa propre chambre, qui était trop étroite et trop basse pour contenir une table, et craignant de réveiller son vieil ami en s’installant dans l’antichambre, elle montait sur la terrasse, tantôt pour y rêver seule en regardant les étoiles, tantôt pour raconter à son camarade de dévouement et de servitude les petits incidents de sa journée. Ce soir-là, ils avaient de part et d’autre mille choses à se dire. Consuelo s’enveloppa d’une pelisse dont elle rabattit le capuchon sur sa tête pour ne pas prendre d’enrouement, et alla rejoindre Beppo, qui l’attendait avec impatience. Ces causeries nocturnes sur les toits lui rappelaient les entretiens de son enfance avec Anzoleto ; ce n’était pas la lune de Venise, les toits pittoresques de Venise, les nuits embrasées par l’amour et l’espérance ; mais c’était la nuit allemande plus rêveuse et plus froide, la lune allemande plus vaporeuse et plus sévère ; enfin, c’était l’amitié avec ses douceurs et ses bienfaits, sans les dangers et les frémissements de la passion.

Lorsque Consuelo eut raconté tout ce qui l’avait intéressée, blessée ou divertie chez la margrave, et que ce fut le tour de Joseph à parler :

« Tu as vu de ces secrets de cour, lui dit-il, les enveloppes et les cachets armoriés ; mais comme les laquais ont coutume de lire les lettres de leurs maîtres, c’est à l’antichambre que j’ai appris le contenu de la vie des grands. Je ne te raconterai pas la moitié des propos dont la margrave douairière est le sujet. Tu en frémirais d’horreur et de dégoût. Ah ! si les gens du monde savaient comme les valets parlent d’eux ! si, de ces beaux salons où ils se pavanent avec tant de dignité, ils entendaient ce que l’on dit de leurs mœurs et de leur caractère de l’autre côté de la cloison ? Tandis que le Porpora, tout à