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consuelo.

margrave de Bareith est une vieille coquine, et le ministre Kaunitz une vieille bavarde !

— Non, mon maître, je n’ai pas dit cela, répondit Consuelo en riant. Je saurai prendre gaiement les impertinences et les ridicules du monde ; il ne me faudra pour cela ni haine ni dépit, mais ma bonne conscience et ma bonne humeur. Je suis encore artiste et je le serai toujours. Je conçois un autre but, une autre destinée à l’art que la rivalité de l’orgueil et la vengeance de l’abaissement. J’ai un autre mobile, et il me soutiendra.

— Et lequel, lequel ? s’écria le Porpora en posant sur la table de l’antichambre son bougeoir, que Joseph venait de lui présenter. Je veux savoir lequel.

— J’ai pour mobile de faire comprendre l’art et de le faire aimer sans faire craindre et haïr la personne de l’artiste. »

Le Porpora haussa les épaules.

« Rêves de jeunesse, dit-il, je vous ai faits aussi !

— Eh bien, si c’est un rêve, reprit Consuelo, le triomphe de l’orgueil en est un aussi. Rêve pour rêve, j’aime mieux le mien. Ensuite j’ai un second mobile, maître : le désir de t’obéir et de te complaire.

— Je n’en crois rien, rien », s’écria le Porpora en prenant son bougeoir avec humeur et en tournant le dos ; mais dès qu’il eut la main sur le bouton de sa porte, il revint sur ses pas et alla embrasser Consuelo, qui attendait en souriant cette réaction de sensibilité.

Il y avait dans la cuisine, qui touchait à la chambre de Consuelo, un petit escalier en échelle qui conduisait à une sorte de terrasse de six pieds carrés au revers du toit. C’était là qu’elle faisait sécher les jabots et les manchettes du Porpora quand elle les avait blanchis. C’était là qu’elle grimpait quelquefois le soir pour babiller avec Beppo, quand le maître s’endormait de trop bonne heure