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consuelo.

— Oui, je dis que c’est peu de chose, répondit Consuelo avec calme et fermeté ; je vous l’ai dit à Venise dans une circonstance de ma vie qui fut bien cruelle et décisive. Je n’ai pas changé d’avis. Mon cœur n’est pas fait pour la lutte, et il ne saurait porter le poids de la haine et de la colère ; il n’y a pas un coin dans mon âme où la rancune et la vengeance puissent trouver à se loger. Passez, méchantes passions ! brûlantes fièvres, passez loin de moi ! Si c’est à la seule condition de vous livrer mon sein que je dois posséder la gloire et le génie, adieu pour jamais, génie et gloire ! allez couronner d’autres fronts et embraser d’autres poitrines ; vous n’aurez même pas un regret de moi ! »

Joseph s’attendait à voir le Porpora éclater d’une de ces colères à la fois terribles et comiques que la contradiction prolongée soulevait en lui. Déjà il tenait d’une main le bras de Consuelo pour l’éloigner du maître et la soustraire à un de ces gestes furibonds dont il la menaçait souvent, et qui n’amenaient pourtant jamais rien… qu’un sourire ou une larme. Il en fut de cette bourrasque comme des autres : le Porpora frappa du pied, gronda sourdement comme un vieux lion dans sa cage, et serra le poing en l’élevant vers le ciel avec véhémence ; puis tout aussitôt il laissa retomber ses bras, poussa un profond soupir, pencha sa tête sur sa poitrine, et garda un silence obstiné jusqu’à la maison. La sérénité généreuse de Consuelo, sa bonne foi énergique, l’avaient frappé d’un respect involontaire. Il fit peut-être d’amers retours sur lui-même ; mais il ne les avoua point, et il était trop vieux, trop aigri et trop endurci dans son orgueil d’artiste pour s’amender. Seulement, au moment où Consuelo lui donna le baiser du bonsoir, il la regarda d’un air profondément triste et lui dit d’une voix éteinte :

« C’en est donc fait ! tu n’es plus artiste parce que la