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consuelo.

ménagez, et vous sortez par la petite porte du salon après leur avoir servi respectueusement deux ou trois plats de votre génie !

— Oui, oui, répondit le maestro en se frottant les mains avec un rire amer ; je me moque d’eux, je salue leurs diamants et leurs cordons, je les écrase avec trois accords de ma façon, et je leur tourne le dos, bien content de m’en aller, bien pressé de me délivrer de leurs sottes figures.

— Ainsi, reprit Consuelo, l’apostolat de l’art est un combat ?

— Oui, c’est un combat : honneur au brave !

— C’est une raillerie contre les sots ?

— Oui, c’est une raillerie : honneur à l’homme d’esprit qui sait la faire sanglante !

— C’est une colère concentrée, une rage de tous les instants ?

— Oui, c’est une colère et une rage : honneur à l’homme énergique qui ne s’en lasse pas et qui ne pardonne jamais !

— Et ce n’est rien de plus ?

— Ce n’est rien de plus en cette vie. La gloire du couronnement ne vient guère qu’après la mort pour le véritable génie.

— Ce n’est rien de plus en cette vie ? Maître, tu en es bien sûr ?

— Je te l’ai dit !

— En ce cas, c’est bien peu de chose, dit Consuelo en soupirant et en levant les yeux vers les étoiles brillantes dans le ciel pur et profond.

— C’est peu de chose ? Tu oses dire, misérable cœur, que c’est peu de chose ? s’écria le Porpora en s’arrêtant de nouveau et en secouant avec force le bras de son élève, tandis que Joseph, épouvanté, laissait tomber sa torche.