Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 3.djvu/167

Cette page a été validée par deux contributeurs.
157
consuelo.

vulgaires mortels ; nous nous habillons en rois et en grands hommes, nous montons sur un théâtre, nous nous asseyons sur un trône postiche, nous jouons une farce, nous sommes des histrions ! Par le corps de Dieu ! le monde voit cela, et n’y comprend goutte ! Il ne voit pas que c’est nous qui sommes les vraies puissances de la terre, et que notre règne est le seul véritable, tandis que leur règne à eux, leur puissance, leur activité, leur majesté, sont une parodie dont les anges rient là-haut, et que les peuples haïssent et maudissent tout bas. Et les plus grands princes de la terre viennent nous regarder, prendre des leçons à notre école ; et, nous admirant en eux-mêmes, comme les modèles de la vraie grandeur, ils tâchent de nous ressembler quand ils posent devant leurs sujets. Va ! le monde est renversé ; ils le sentent bien, eux qui le dominent, et s’ils ne s’en rendent pas tout à fait compte, s’ils ne l’avouent pas, il est aisé de voir, au dédain qu’ils affichent pour nos personnes et notre métier, qu’ils éprouvent une jalousie d’instinct pour notre supériorité réelle. Oh ! quand je suis au théâtre, je vois clair, moi ! L’esprit de la musique me dessille les yeux, et je vois derrière la rampe une véritable cour, de véritables héros, des inspirations de bon aloi ; tandis que ce sont de véritables histrions et de misérables cabotins qui se pavanent dans les loges sur des fauteuils de velours. Le monde est une comédie, voilà ce qu’il y a de certain, et voilà pourquoi je te disais tout à l’heure : Traversons gravement, ma noble fille, cette méchante mascarade qui s’appelle le monde.

« Peste soit de l’imbécile ! s’écria le maestro en repoussant Joseph, qui, avide d’entendre ses paroles exaltées, s’était rapproché insensiblement jusqu’à le coudoyer ; il me marche sur les pieds, il me couvre de résine avec son flambeau ! Ne dirait-on pas qu’il comprend