quelles fausses idées nous trottent donc par la cervelle aujourd’hui ? Que sommes-nous, et qu’avons-nous besoin d’être autre chose que des histrions ? Ils nous appellent ainsi par mépris ! Eh ! qu’importe si nous sommes histrions par goût, par vocation et par l’élection du ciel, comme ils sont grands seigneurs par hasard, par contrainte ou par le suffrage des sots ? Oui-da ! histrions ! ne l’est pas qui veut ! Qu’ils essaient donc de l’être, et nous verrons comme ils s’y prendront, ces mirmidons qui se croient si beaux ! Que la margrave douairière de Bareith endosse le manteau tragique, qu’elle mette sa grosse vilaine jambe dans le cothurne, et qu’elle fasse trois pas sur les planches ; nous verrons une étrange princesse ! Et que crois-tu qu’elle fit dans sa petite cour d’Erlangen, au temps où elle croyait régner ? Elle essayait de se draper en reine, et elle suait sang et eau pour jouer un rôle au-dessus de ses forces. Elle était née pour faire une vivandière, et, par une étrange méprise, la destinée en avait fait une altesse. Aussi a-t-elle mérité mille sifflets lorsqu’elle faisait l’altesse à contre-sens. Et toi, sotte enfant, Dieu t’a faite reine ; il t’a mis au front un diadème de beauté, d’intelligence et de force. Que l’on te mène au milieu d’une nation libre, intelligente et sensible (je suppose qu’il en existe de telles ! ), et te voilà reine, parce que tu n’as qu’à te montrer et à chanter pour prouver que tu es reine de droit divin. Eh bien, il n’en est point ainsi ! Le monde va autrement. Il est comme il est ; qu’y veux-tu faire ? Le hasard, le caprice, l’erreur et la folie le gouvernent. Qu’y pouvons-nous changer ? Il a des maîtres contrefaits, malpropres, sots et ignares pour la plupart. Nous y voilà, il faut se tuer ou s’accommoder de son train. Alors, ne pouvant être monarques, nous sommes artistes, et nous régnons encore. Nous chantons la langue du ciel, qui est interdite aux
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