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consuelo.

États. Si tu le voyais, tu trouverais fort surprenant que les hommes d’État fussent autre chose que de vieilles commères. Allons, silence là-dessus, et faisons notre métier à travers cette mascarade du monde.

— Hélas ! mon maître, dit la jeune fille, devenue pensive en traversant la vaste esplanade du rempart pour se diriger vers le faubourg où était située leur modeste demeure : je me demande justement ce que devient notre métier, au milieu de ces masques si froids ou si menteurs.

— Eh ! que veux-tu qu’il devienne ? reprit le Porpora avec son ton brusque et saccadé : il n’a point à devenir ceci ou cela. Heureux ou malheureux, triomphant ou dédaigné, il reste ce qu’il est : le plus beau, le plus noble métier de la terre !

— Oh oui ! dit Consuelo en ralentissant le pas toujours rapide de son maître et en s’attachant à son bras, je comprends que la grandeur et la dignité de notre art ne peuvent pas être rabaissées ou relevées au gré du caprice frivole ou du mauvais goût qui gouvernent le monde ; mais pourquoi laissons-nous ravaler nos personnes ? Pourquoi allons-nous les exposer aux dédains, ou aux encouragements parfois plus humiliants encore des profanes ? Si l’art est sacré, ne le sommes-nous pas aussi, nous ses prêtres et ses lévites ? Que ne vivons-nous au fond de nos mansardes, heureux de comprendre et de sentir la musique, et qu’allons-nous faire dans ces salons où l’on nous écoute en chuchotant, où l’on nous applaudit en pensant à autre chose, et où l’on rougirait de nous regarder une minute comme des êtres humains, après que nous avons fini de parader comme des histrions ?

— Eh ! eh ! gronda le Porpora en s’arrêtant et en frappant sa canne sur le pavé, quelles sottes vanités et