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demi couchée sur sa causeuse, respirant à tout instant un flacon contre les vapeurs, recevant les hommages d’un air qu’elle croyait languissant, et qui n’était que dédaigneux ; enfin, elle était d’un ridicule si achevé, que Consuelo, d’abord irritée et indignée de son insolence, finit par s’en amuser intérieurement, et se promit d’en rire de bon cœur en faisant son portrait à l’ami Beppo.

La princesse s’était rapprochée du clavecin, et ne manquait pas une occasion d’adresser, soit une parole, soit un sourire, à Consuelo, quand sa mère ne s’occupait point d’elle. Cette situation permit à Consuelo de surprendre une petite scène d’intérieur qui lui donna la clef du ménage. Le comte Hoditz s’approcha de sa belle-fille, prit sa main, la porta à ses lèvres, et l’y tint pendant quelques secondes avec un regard fort expressif. La princesse retira sa main, et lui adressa quelques mots de froide déférence. Le comte ne les écouta pas, et, continuant de la couver du regard :

« Eh quoi ! mon bel ange, toujours triste, toujours austère, toujours cuirassée jusqu’au menton ! On dirait que vous voulez vous faire religieuse.

— Il est bien possible que je finisse par là, répondit la princesse à demi-voix. Le monde ne m’a pas traitée de manière à m’inspirer beaucoup d’attachement pour ses plaisirs.

— Le monde vous adorerait et serait à vos pieds, si vous n’affectiez, par votre sévérité, de le tenir à distance ; et quant au cloître, pourriez-vous en supporter l’horreur à votre âge, et belle comme vous êtes ?

— Dans un âge plus riant, et belle comme je ne le suis plus, répondit-elle, j’ai supporté l’horreur d’une captivité plus rigoureuse : l’avez-vous oublié ? Mais ne me parlez pas davantage, monsieur le comte ; maman vous regarde. »