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pour l’empêcher de publier et de faire représenter ses ouvrages. Il partirait un beau matin en secouant la poussière de ses pieds, et il reviendrait chercher sa mansarde, son clavecin rongé des rats, sa fatale bouteille et les chers manuscrits.

— Et vous ne voyez pas la possibilité d’amener à Vienne, ou à Venise, ou à Dresde, ou à Prague, dans quelque ville musicale enfin, votre comte Albert ? Riche, vous pourriez vous établir partout, vous y entourer de musiciens, cultiver l’art d’une certaine façon, et laisser le champ libre à l’ambition du Porpora, sans cesser de veiller sur lui ?

— Après ce que je t’ai raconté du caractère et de la santé d’Albert, comment peux-tu me faire une pareille question ? Lui, qui ne peut supporter la figure d’un indifférent, comment affronterait-il cette foule de méchants et de sots qu’on appelle le monde ? Et quelle ironie, quel éloignement, quel mépris, le monde ne prodiguerait-il pas à cet homme saintement fanatique, qui ne comprend rien à ses lois, à ses mœurs et à ses habitudes ! Tout cela est aussi hasardeux à tenter sur Albert que ce que j’essaie maintenant en cherchant à me faire oublier de lui.

— Soyez certaine cependant que tous les maux lui paraîtraient plus légers que votre absence. S’il vous aime véritablement, il supportera tout ; et s’il ne vous aime pas assez pour tout supporter et tout accepter, il vous oubliera.

— Aussi j’attends et ne décide rien. Donne-moi du courage, Beppo, et reste près de moi, afin que j’aie du moins un cœur où je puisse répandre ma peine, et à qui je puisse demander de chercher avec moi l’espérance.

— Ô ma sœur ! sois tranquille, s’écriait Joseph ; si je suis assez heureux pour te donner cette légère conso-