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consuelo.

y a un milieu que le Porpora ne concevait pas, et auquel il n’arriva jamais.

Consuelo, après avoir tenté d’inutiles efforts, voyant qu’il était moins disposé que jamais à lui permettre l’amour et le mariage, se résigna à ne plus provoquer des explications qui aigrissaient de plus en plus les préventions de son infortuné maître. Elle ne prononça plus le nom d’Albert, et se tint prête à signer l’engagement qui lui serait imposé par le Porpora. Lorsqu’elle se retrouvait seule avec Joseph, elle éprouvait quelque soulagement à lui ouvrir son cœur.

« Quelle destinée bizarre est la mienne ! lui disait-elle souvent. Le ciel m’a donné des facultés et une âme pour l’art, des besoins de liberté, l’amour d’une fière et chaste indépendance ; mais en même temps, au lieu de me donner ce froid et féroce égoïsme qui assure aux artistes la force nécessaire pour se frayer une route à travers les difficultés et les séductions de la vie, cette volonté céleste m’a mis dans la poitrine un cœur tendre et sensible qui ne bat que pour les autres, qui ne vit que d’affection et de dévouement. Ainsi partagée entre deux forces contraires, ma vie s’use, et mon but est toujours manqué. Si je suis née pour pratiquer le dévouement, Dieu veuille donc ôter de ma tête l’amour de l’art, la poésie, et l’instinct de la liberté, qui font de mes dévouements un supplice et une agonie ; si je suis née pour l’art et pour la liberté, qu’il ôte donc de mon cœur la pitié, l’amitié, la sollicitude et la crainte de faire souffrir, qui empoisonneront toujours mes triomphes et entraveront ma carrière !

— Si j’avais un conseil à te donner, pauvre Consuelo, répondait Haydn, ce serait d’écouter la voix de ton génie et d’étouffer le cri de ton cœur. Mais je te connais