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rait la gloire et la liberté. D’un autre côté, refuser cet engagement, c’était détruire les dernières espérances du Porpora ; c’était lui montrer, à son tour, cette ingratitude qui avait fait le désespoir et le malheur de sa vie ; c’était enfin lui porter un coup de poignard. Consuelo, effrayée de se trouver dans cette alternative, et voyant qu’elle allait frapper un coup mortel, quelque parti qu’elle pût prendre, tomba dans un morne chagrin. Sa robuste constitution la préserva d’une indisposition sérieuse ; mais durant ces quelques jours d’angoisse et d’effroi, en proie à des frissons fébriles, à une pénible langueur, accroupie auprès d’un maigre feu, ou se traînant d’une chambre à l’autre pour vaquer aux soins du ménage, elle désira et espéra tristement qu’une maladie grave vînt la soustraire aux devoirs et aux anxiétés de sa situation.

L’humeur du Porpora, qui s’était épanouie un instant, redevint sombre, querelleuse et injuste dès qu’il vit Consuelo, la source de son espoir et le siège de sa force, tomber tout à coup dans l’abattement et l’irrésolution. Au lieu de la soutenir et de la ranimer par l’enthousiasme et la tendresse, il lui témoigna une impatience maladive qui acheva de la consterner. Tour à tour faible et violent, le tendre et irascible vieillard, dévoré du spleen qui devait bientôt consumer Jean-Jacques Rousseau, voyait partout des ennemis, des persécuteurs et des ingrats, sans s’apercevoir que ses soupçons, ses emportements et ses injustices provoquaient et motivaient un peu chez les autres les mauvaises intentions et les mauvais procédés qu’il leur attribuait. Le premier mouvement de ceux qu’il blessait ainsi était de le considérer comme fou ; le second, de le croire méchant ; le troisième, de se détacher, de se préserver, ou de se venger de lui. Entre une lâche complaisance et une sauvage misanthropie, il