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consuelo.

— Vous allez voir si je ne la sais pas par cœur », dit Consuelo en fermant le cahier brusquement.

Et elle la chanta comme elle la concevait, c’est-à-dire autrement que Le Porpora. Connaissant son humeur, bien qu’elle eût compris, dès le premier essai, qu’il s’était embrouillé dans son idée, et qu’à force de la travailler il en avait dénaturé le sentiment, elle n’avait pas voulu se permettre de lui donner un conseil. Il l’eût rejeté par esprit de contradiction : mais en lui chantant cette phrase à sa propre manière, tout en feignant de faire une erreur de mémoire, elle était bien sûre qu’il en serait frappé. À peine l’eut-il entendue, qu’il bondit sur sa chaise en frappant dans ses deux mains et en s’écriant :

« La voilà ! la voilà ! voilà ce que je voulais, et ce que je ne pouvais pas trouver ! Comment diable cela t’est-il venu ?

— Est-ce que ce n’est pas ce que vous avez écrit ? ou bien est-ce que le hasard ?… Si fait, c’est votre phrase.

— Non, c’est la tienne, fourbe ! s’écria le Porpora qui était la candeur même, et qui, malgré son amour maladif et immodéré de la gloire, n’eût jamais rien fardé par vanité ; c’est toi qui l’as trouvée ! Répète-la-moi. Elle est bonne, et j’en fais mon profit. »

Consuelo recommença plusieurs fois, et le Porpora écrivit sous sa dictée ; puis il pressa son élève sur son cœur en disant :

« Tu es le diable ! J’ai toujours pensé que tu étais le diable !

— Un bon diable, croyez-moi, maître, répondit Consuelo en souriant. »

Le Porpora, transporté de joie d’avoir sa phrase, après une matinée entière d’agitations stériles et de tortures musicales, chercha par terre machinalement le goulot de sa bouteille, et, ne le trouvant pas, il se remit à tâton-