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consuelo.

Il me semblait que tout allait au plus mal, et qu’ici tout irait mieux. Cependant tout va de mal en pis pour moi. La fortune, la santé, les idées… tout ! » Et il pencha sa tête dans ses mains.

« Veux-tu que je te dise pourquoi tu as de la peine à travailler ici ? reprit Consuelo qui voulait le distraire, par des choses de détail, de l’idée de découragement qui le dominait. C’est que tu n’as pas ton bon café à la vénitienne, qui donne tant de force et de gaieté. Tu veux t’exciter à la manière des allemands, avec de la bière et des liqueurs ; cela ne te va pas.

— Ah ! c’est encore la vérité ; mon bon café de Venise ! c’était une source intarissable de bons mots et de grandes idées. C’était le génie, c’était l’esprit, qui coulaient dans mes veines avec une douce chaleur. Tout ce qu’on boit ici rend triste ou fou.

— Eh bien, maître, prends ton café !

— Ici ? du café ? je n’en veux pas. Cela fait trop d’embarras. Il faut du feu, une servante, une vaisselle qu’on lave, qu’on remue, qu’on casse avec un bruit discordant au milieu d’une combinaison harmonique ! Non, pas de tout cela ! Ma bouteille, par terre, entre mes jambes ; c’est plus commode, c’est plus tôt fait.

— Cela se casse aussi. Je l’ai cassée ce matin, en voulant la mettre dans l’armoire.

— Tu m’as cassé ma bouteille ! je ne sais à quoi tient, petite laide, que je ne te casse ma canne sur les épaules.

— Bah ! il y a quinze ans que vous me dites cela, et vous ne m’avez pas encore donné une chiquenaude ! Je n’ai pas peur du tout.

— Babillarde ! chanteras-tu ? me tireras-tu de cette phrase maudite ? Je parie que tu ne la sais pas encore, tant tu es distraite ce matin.