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consuelo.

— Ah ! je vois bien que le diable est entré dans ma maison. Elle ne me laissera pas tranquille ! Allons, viens ici, et chante-moi cette phrase. Attention, je te prie. »

Consuelo s’approcha du clavecin et chanta la phrase, tandis que Keller, qui était un dilettante renforcé, restait à l’autre bout de la chambre, le peigne à la main et la bouche entr’ouverte. Le maestro, qui n’était pas content de sa phrase, se la fit répéter trente fois de suite, tantôt faisant appuyer sur certaines notes, tantôt sur certaines autres, cherchant la nuance qu’il rêvait avec une obstination que pouvaient seules égaler la patience et la soumission de Consuelo. Pendant ce temps, Joseph, sur un signe de cette dernière, avait été chercher le chocolat qu’elle avait préparé elle-même pendant les courses de Keller. Il l’apporta, et, devinant les intentions de son amie, il le posa doucement sur le pupitre sans éveiller l’attention du maître, qui, au bout d’un instant, le prit machinalement, le versa dans la tasse, et l’avala avec grand appétit. Une seconde tasse fut apportée et avalée de même avec renfort de pain et de beurre, et Consuelo, qui était un peu taquine, lui dit en le voyant manger avec plaisir :

« Je le savais bien, maître, que tu n’avais pas déjeuné.

— C’est vrai ! répondit-il sans humeur ; je crois que je l’avais oublié ; cela m’arrive souvent quand je compose, et je ne m’en aperçois que dans la journée, quand j’éprouve des tiraillements d’estomac et des spasmes.

— Et alors, tu bois de l’eau-de-vie, maître ?

— Qui t’a dit cela, petite sotte ?

— J’ai trouvé la bouteille.

— Eh bien, que t’importe ? Ne vas-tu pas m’interdire l’eau-de-vie ?

— Oui, je te l’interdirai ! Tu étais sobre à Venise, et tu te portais bien.

— Cela, c’est la vérité, dit le Porpora avec tristesse.