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consuelo.

pas seulement Keller qui la tenait par les cheveux, et se mit à chercher dans sa musique le fragment écrit de la phrase qui lui trottait par la cervelle. Ce fut en voyant ses papiers, ordinairement épars sur le clavecin dans un désordre incomparable, rangés en piles symétriques, qu’il sortit de sa préoccupation en s’écriant :

« Malheureux drôle ! il s’est permis de toucher à mes manuscrits. Voilà bien les valets ! Ils croient ranger quand ils entassent ! J’avais bien besoin, ma foi, de prendre un valet ! Voilà le commencement de mon supplice.

— Pardonnez-lui, maître, répondit Consuelo ; votre musique était dans le chaos…

— Je me reconnaissais dans ce chaos ! je pouvais me lever la nuit et prendre à tâtons dans l’obscurité n’importe quel passage de mon opéra ; à présent je ne sais plus rien, je suis perdu ; j’en ai pour un mois avant de me reconnaître.

— Non, maître, vous allez vous y retrouver tout de suite. C’est moi qui ai fait la faute d’ailleurs, et quoique les pages ne fussent pas numérotées, je crois avoir mis chaque feuillet à sa place. Regardez ! je suis sûre que vous lirez plus aisément dans le cahier que j’en ai fait que dans toutes ces feuilles volantes qu’un coup de vent pouvait emporter par la fenêtre.

— Un coup de vent ! prends-tu ma chambre pour les lagunes de Fusine ?

— Sinon un coup de vent, du moins un coup de plumeau, un coup de balai.

— Eh ! qu’y avait-il besoin de balayer et d’épousseter ma chambre ? Il y a quinze jours que je l’habite, et je n’ai permis à personne d’y entrer.

— Je m’en suis bien aperçu, pensa Joseph.

— Eh bien, maître, il faut que vous me permettiez de changer cette habitude. Il est malsain de dormir dans