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consuelo.

mais elle lui retira brusquement ses mains et se recula au bout de la table, en voyant ses yeux enflammés et son sourire libertin.

« Allons ! vous voulez faire la prude ? dit le comte en reprenant son air indolent et superbe. Eh bien, ma mignonne, nous avons un petit amant ? Il est fort laid, le pauvre hère, et j’espère qu’à partir d’aujourd’hui vous y renoncerez. Votre fortune est faite, si vous n’hésitez pas ; car je n’aime pas les lenteurs. Vous êtes une charmante fille, pleine d’intelligence et de douceur ; vous me plaisez beaucoup, et, dès le premier coup d’œil que j’ai jeté sur vous, j’ai vu que vous n’étiez pas faite pour courir la pretantaine avec ce petit drôle. J’aurai soin de lui pourtant ; je l’enverrai à Roswald, et je me charge de son sort. Quant à vous, vous resterez à Vienne. Je vous y logerai convenablement, et même, si vous êtes prudente et modeste, je vous produirai dans le monde. Quand vous saurez la musique, vous serez la prima-donna de mon théâtre, et vous reverrez votre petit ami de rencontre, quand je vous mènerai à ma résidence. Est-ce entendu ?

— Oui, monsieur le comte, répondit Consuelo avec beaucoup de gravité et en faisant un grand salut ; c’est parfaitement entendu. »

Joseph rentra en cet instant avec le valet de chambre, qui portait deux flambeaux, et le comte sortit en donnant un petit coup sur la joue de Joseph et en adressant à Consuelo un sourire d’intelligence.

« Il est d’un ridicule achevé, dit Joseph à sa compagne dès qu’il fut seul avec elle.

— Plus achevé encore que tu ne penses, lui répondit-elle d’un air pensif.

— C’est égal, c’est le meilleur homme du monde, et il me sera fort utile à Vienne.